vendredi 3 décembre 2010
Interview
Interview d'Emmanuelle Guery* sur le magazine "le point.fr"
(*porte parole du collectif SOS enfant adoptés Haïti)
3 decembre 2010
Au moment du séisme en Haïti, mille vingt enfants étaient en cours d'adoption par des familles françaises. Contrairement aux autres pays adoptants, la France a ralenti les procédures et refusé toute évacuation d'urgence. Six enfants, parmi les adoptés, sont morts. Et presque un an après le séisme, aujourd'hui que le choléra sévit sur l'île, il reste encore sur place trois cent vingt enfants.
Le Point.fr : Quel âge ont les trois cent vingt enfants qui sont encore sur place et dans quelles conditions vivent-ils ?
Emmanuelle Guerry : La majorité d'entre eux a entre six mois et trois ans. Ils ont longtemps vécu sous des tentes, ils sont heureusement maintenant dans des bâtiments en dur, mais dans des espaces beaucoup plus réduits qu'avant le séisme. Le personnel des crèches est en outre très éprouvé par la catastrophe et le choléra : cela a forcément un impact sur les enfants.
Certains de ces enfants ont-ils déjà été touchés par le choléra ?
Oui. Une des crèches a été touchée, mais l'ambassade de France a heureusement fait très vite pour sortir les enfants et les faire soigner. Le choléra est partout dans l'île et se propage à une vitesse très inquiétante. Dans cette crèche, dès le deuxième jour, il y avait déjà dix nouveaux cas supplémentaires.
Quelle est leur situation juridique ?
Tous ont été attribués à une famille avant le séisme. La moitié d'entre eux ont leur jugement d'adoption, c'est-à-dire qu'ils portent déjà le nom de leur famille française : ne leur manquent, pour la rejoindre, qu'un passeport et un visa. L'autre moitié est en attente de jugement, à des stades de procédure très différents. Beaucoup, en tout cas, sont en cours d'adoption depuis très, très longtemps. Il y a un enfant qui a été attribué à une famille il y a quatre ans... Le Quai d'Orsay, du temps de Bernard Kouchner, a fait le choix de l'envoi des enfants au compte-gouttes plutôt que de l'évacuation générale et rapide.
La France est-elle la seule à avoir choisi cette voie ?
Absolument. Tous les pays adoptants, sans exception, qu'il s'agisse des États-Unis, du Canada, de l'Espagne ou des Pays-Bas, ont trouvé un accord avec le gouvernement haïtien dans les deux mois qui ont suivi le séisme pour évacuer les enfants qui étaient en cours d'adoption par leurs ressortissants. Dans de nombreuses crèches, les enfants sont tout de suite partis pour leur pays d'adoption, et ne restaient, et ne restent encore, dix mois plus tard, que leurs petits camarades adoptés par des Français... Parmi eux, six sont morts.
Parmi eux, six sont morts. De quoi sont-ils décédés ?
La plupart sont morts de septicémie. S'ils avaient rejoint tout de suite leur famille française, ils n'auraient pas contracté de maladie, ou bien ils auraient été soignés correctement. Bernard Kouchner a préféré garantir leur sécurité juridique avant leur sécurité tout court. Le ministre qui lui succède, Michèle Alliot-Marie, s'est engagé à débloquer la situation et à signer l'accord qu'ont signé il y a dix mois avec Haïti tous les autres pays. Enfin...
Vous avez donc bon espoir aujourd'hui ?
Nous sommes satisfaits du changement de politique. Mais nous restons très vigilants.
Votre enfant est arrivé en juillet dernier. Depuis combien de temps attendiez-vous et comment cela se passe-t-il entre vous ?
La procédure d'adoption avait commencé en janvier 2008 et il m'a été attribué en juillet 2009. Depuis qu'il est ici, tout se passe bien. Le psychiatre Pierre Levy-Soussan veut faire croire dans vos colonnes (voir Le Point actuellement en kiosque) que les enfants arrivés en urgence en France vont mal, mais j'ignore sur quoi il s'appuie. Quelques heures passées à l'aéroport pour assister à l'arrivée d'enfants épuisés par le voyage et forcément choqués par ce qu'ils ont vécu ? C'est un peu léger. Grâce au collectif, nous avons en revanche une bonne vision d'ensemble, et je peux vous dire que les enfants vont bien. Ils ont les soucis inhérents à toute adoption, pas plus. Et ils sont vivants.
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